Héliodore se tenait debout au milieu de la grande salle commune de la Garde. Elle écoutait le silence assourdissant du lieu autrefois débordant de vie. Elle ne comprenait pas comment cela avait pu arriver. Certes, un problème familiale l'avait retenue en Comté plus de temps qu'elle ne l'avait prévue, mais retrouver la maison de confrérie quasi désertée à son retour l'avait quelque peu ébranlée. Les quelques membres qu'elle avait pu questionner récemment s'étaient montrés très évasifs sur le sujet, ou tout aussi interrogatifs.
" J'ai dû manquer quelque chose d'important. " soupira t-elle, se dirigeant vers la cuisine d'un pas lourd. Elle aurait aimé que les portes des pièces voisines s'ouvrent à la volée, déversant joyeusement tous les membres qu'elle n'avait pas revue depuis. Mais après avoir parcouru les couloirs et observé les pièces ouvertes de la grande demeure, elle en avait conclu qu'elle était la seule personne actuellement sur place. A certains indices, elle avait néanmoins l'intime conviction que les membres de la confrérie passaient encore à la maison, certains moins souvent que d'autres. " Un peu comme moi ! " lâcha la petite Hobbite. " On pourrait croire que la Garde des Dragons Noirs s'est mise en hibernation. Le combat est pourtant loin de tourner à notre avantage pour se reposer ainsi ! " Maugréa la ménestrel. " A moins que cette « mission » soit si importante qu'elle mobilise la plupart des Dragons, obligeant l'abandon des autres taches en cours ? Mais pourquoi n'avoir pas convié la totalité des membres à sa réalisation, laissant même certains dans le brouillard ? " Elle réfléchissait aux possibles raisons en passant la porte.
Le spectacle de la cuisine la laissa un instant interdite. " M'enfin ! Ils auraient quand même pu ranger un peu en partant ! "s’exclama t-elle. Puis, l'indignation laissa rapidement place à la compassion lorsqu'elle commença à tout remettre en ordre. Aux reliefs du repas, elle était quasi certaine de pouvoir dresser la liste des convives. " J'espère au moins qu'elle ne durera pas trop, et surtout qu'elle sera couronnée de succès. Au moins, ils ne se laissent pas abattre et gardent un bon coups de fourchette... Et une bonne descente également ! Il va falloir réapprovisionner le cellier rapidement; je ne sais pas quand ils repasseront. " Le poids sur son cœur semblait s'être allégé et elle se mit à fredonner pendant son dur labeur.
Une fois celui-ci terminé, elle s'assit près du fourneau, une tasse de tisane brûlante dans les mains. Humant le délicieux mélange de plantes elle reprit le cours de ses préoccupations. " J'aimerai bien savoir ce qu'ils font et si je peux les aider. Mais, ce « petit » problème en Comté n'est pas entièrement réglé. Je ne peux m'absenter trop longtemps car, si je ne garde pas un œil dessus, ça risque encore de dégénérer. " constata t-elle, amère. " Ah ! On ne choisi pas sa famille, c'est parfois bien ennuyeux. Et moi je suis trop gourde pour savoir dire « non » quand je le devrais. " Portant vivement la tasse à sa bouche, elle interrompit son geste au dernier moment, surprise par la chaleur irradiante du liquide ambré. " Humm ! " La vision de se voir affublée d'une saucisse à la place de la lèvre supérieure l'incita à reposer, doucement, le dangereux breuvage sur la table voisine. " Je ne peux participer à cette mystérieuse et importante mission, mais je peux sûrement me joindre à d'autres. Et montrer que la Garde est toujours active dans le combat contre le Mordor ! " La petite Hobbite se leva d'un bond. " Je doute que les talents d'un ménestrel ne soient pas appréciés... Même s'il fait la moitié de la taille d'un homme. " Le rythme de son cœur s'accélérait. " Mais... Aurai-je le courage de proposer spontanément mes services à de « presque » inconnus ? Je reconnais ne pas être un modèle de sociabilité, paradoxal pour quelqu'un de mon art. " Le silence accusateur de la cuisine lui répondit. Elle se rassit, son enthousiasme naissant douché par cette muette opprobre.
Héliodore but la tisane qui avait eu le temps de refroidir. Elle lava la tasse, et sorti de la maison de confrérie au crépuscule. La pluie, qui n'avait cessé de tomber sur Bree de toute la journée, s'était enfin calmée et des odeurs d'humus montaient du sol humide. La ménestrel, regardant pensivement l'astre diurne sur le point de basculer sous l'horizon, se savait dos au mur. Elle n'avait plus guère le choix. Et ce sera dur. Elle repensa à sa conversation avec cet Elfe, un autre jour pluvieux. " Je n'y suis pas encore parvenu. " reconnut elle.